Dans le cadre du Ottawa
International Writers Festival, qui commence officiellement demain, on offrait la possibilité de rencontrer Nancy Huston, de passage au Canada pour
recevoir le Prix Metropolis Bleu (voir article) et faire la promotion de son dernier livre Bad
Girl. Isabelle Lalbin y était et nous raconte.
Nancy Huston |
Nancy Huston est assise au premier rang et attend discrètement
qu’on la présente. Une fois à la tribune, elle nous fait la lecture d’un
passage de Bad Girl, après avoir présenté
succinctement les trois personnages principaux : le père, Kenneth, la mère,
Alison, et l’enfant à naître, Dorrit. Puis, elle se lance dans le texte de sa voix chaude et mélodieuse. Une
très belle lecture, vivante, vibrante, avec des sonorités différentes suivant
les personnages et un ton intimiste qui colle parfaitement au sujet du texte.
Il y a de la poésie, de grandes vérités et même de l’humour… En quelques lignes, on est plongés dans ce
récit et quand cela finit, on est convaincu qu’on lira la suite.
« Ce qu’il faut comprendre des femmes de cette génération, la première à naître après l’arrivée du suffrage féminin en Amérique du Nord (1920), c’est qu’elles croyaient possible de tout réconcilier. Aujourd’hui, plus personne ne le croit.
« Ce qu’il faut comprendre des femmes de cette génération, la première à naître après l’arrivée du suffrage féminin en Amérique du Nord (1920), c’est qu’elles croyaient possible de tout réconcilier. Aujourd’hui, plus personne ne le croit.
Hélas,
tandis qu’on élevait les filles à la fois comme des filles et garçons, on
continuait à élever les garçons comme des garçons.»
« Et ce qu’il
faut comprendre d’Alison en particulier, c’est qu’elle aimait tout, mais alors vraiment tout, et de tout cœur. Elle aimait jouer
du piano et planter des légumes et se maquiller et confectionner des tartes et
lire des livres de psychologie et de critique littéraire et assister à des
concerts de musique classique et participer à des conversations spirituelles,
et sans doute aurait-elle-même raffolé d’être mère et ménagère, si on ne lui
avait pas intimé l’ordre de s’en contenter.
Hélas, elle était en avance sur son temps.»
Puis, la
présentatrice, Catherine Voyer-Léger, interview l’écrivaine. En voici les thèmes
principaux que j’ai retenu à votre intention, presqu’encore à chaud :
L’utilisation du tutoiement dans ce récit – Nancy
Huston préfère le terme de roman à celui d’auto-fiction, bien que plusieurs éléments
de sa vie personnelle y soient mis en scène. Ce n’est pas la première fois qu’elle
utilise le tutoiement ou le vouvoiement (2e personne) dans ses
textes. Cela lui est plus naturel et lui vient certainement de ses premières
expériences d’écriture, des lettres à sa mère. Il permet une distanciation de
plus, l’écriture étant toujours la première.
L’exil (par choix) : on lui parle souvent de ce
thème et cela l’occupe plus maintenant après 40 ans d’exil. Au début de l'exil,
on fait tout pour oublier d’où on vient, on apprend tout de la
société d’accueil… et puis cela vous rattrape. Revenir à sa langue maternelle
lui semble essentiel pour approcher l’émotion, pour toucher. Elle se sent
étrangère en France, se reconnait dans cette position et est à l’aise dans la
multiplicité et le bilinguisme. Écouter les histoires des autres, agir comme un
buvard, cela la nourrit et lui plaît.
Le thème de la famille : on lui demande souvent
pourquoi la famille est un de ses thèmes romanesques de
prédilection et elle répond toujours : Y en a-t-il d’autres? « Nous
ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique »,
écrit-elle dans Bad Girl. La famille,
c’est le lieu de l’apprentissage de l’humain. Les souvenirs d’enfance, même les
plus épars sont constitutifs, ce sont les perles d’un rosaire que l’on laisse
glisser sous les doigts, encore et encore, explique-t-elle. Elle pense que les aïeuls
finissent par avoir plus de poids que notre formation universitaire car l’histoire
familiale relève également de l’esprit. Faire des enfants est une profonde
leçon de modestie. Ils apportent du positif mais aussi du négatif. Nous avons
un soi chromosomique sur lequel se
greffent des fictions.
La place de l’animal : la place des animaux dans
la vie des hommes change. L’homme se distancie de plus en plus du monde animal.
Pourtant, notre partie animale demeure. Nous avons des moments animaux :
naissance, puberté, mariage, mort. Il est curieux de constater que ces moments
animaux correspondent également aux moments les plus spirituels de nos vies [silence éloquent dans la salle].
Le féminisme : il s’agit aussi d’un thème central chez Nancy Huston, qui répond pourtant s’intéresser plus aujourd’hui à la
masculinité. Elle explique : au cours des derniers millénaires, les femmes
ont systématiquement choisi les hommes les plus susceptibles de survivre pour
en faire les pères de leurs enfants. Ce faisant, elles ont sélectionné la
violence, la force, les habiletés de survie avec le résultat qu’on constate
dans le monde. On ne peut pas changer ces gènes en quelques
centaines d’années et renverser cette situation.
Merci Isabelle
RépondreSupprimerTon article nous donne envie de lire encore Nancy Huston.
Une autre plume